Par Meïr Waintrater

(lire la première partie
DANS LE MONDE ARABO-MUSULMAN
Une logique semblable explique la présence envahissante des mythes du complot – à commencer par leur archétype, les Protocoles des Sages de Sion – dans le monde arabo-musulman.
À l’origine, il y a le constat d’une absurdité : l’existence de l’État d’Israël. Cela ne devrait pas être, et pourtant cela est. Où est le scandale ? C’est qu’il ne s’agit pas seulement d’un État non-arabe dans l’espace géopolitique arabe, d’un État non-musulman sur une terre conquise par l’Islam et devenue de ce fait propriété inaliénable (wakf) de la communauté des croyants. Il s’agit d’un État juif. Or les Juifs ne sauraient être, dans le discours musulman traditionnel, autre chose qu’une minorité religieuse soumise à la loi majoritaire.
Voici donc que des Juifs s’affirment membres d’un peuple (cette affirmation a toujours été consubstantielle à l’identité religieuse juive, en pays d’islam comme partout ailleurs ; mais bien des gens l’ignorent), et voici que ces Juifs affirment leur indépendance là où le destin semblait les vouer à une éternelle sujétion. « Le sentiment insupportable d’humiliation que suscite l’existence même d’un État juif relève de la frustration identitaire », écrit Nathan Weinstock dans son livre sur « la dhimmitude dans le conflit israélo-palestinien » (13). Cela ne se peut pas, cela n’est pas dans l’ordre naturel des choses. C’est donc – conclusion inéluctable – le fruit d’un complot.
Nous sommes là dans une situation analogue à celle qui fit naître les premières théories du complot, dans l’Europe d’il y a deux siècles. Et les réactions sont les mêmes. L’abolition du califat d’Istanbul, catastrophe suprême pour les islamistes de stricte obédience, ne saurait résulter que d’une conspiration ; et celui à qui on en attribue la responsabilité, Kemal Ataturk, est bientôt soupçonné d’appartenir à une secte secrète de Juifs prétendument convertis à l’islam. « Juifs cachés », eux aussi, tous les réformateurs politiques ou religieux qui vont à l’encontre des enseignements du Prophète. Ces thèses conspirationnistes, décalque presque parfait de celles de l’abbé Barruel, se répandent et continuent d’être diffusées de nos jours, y compris dans les diasporas musulmanes.
DANS LE MONDE ARABO-MUSULMAN
Une logique semblable explique la présence envahissante des mythes du complot – à commencer par leur archétype, les Protocoles des Sages de Sion – dans le monde arabo-musulman.
À l’origine, il y a le constat d’une absurdité : l’existence de l’État d’Israël. Cela ne devrait pas être, et pourtant cela est. Où est le scandale ? C’est qu’il ne s’agit pas seulement d’un État non-arabe dans l’espace géopolitique arabe, d’un État non-musulman sur une terre conquise par l’Islam et devenue de ce fait propriété inaliénable (wakf) de la communauté des croyants. Il s’agit d’un État juif. Or les Juifs ne sauraient être, dans le discours musulman traditionnel, autre chose qu’une minorité religieuse soumise à la loi majoritaire.
Voici donc que des Juifs s’affirment membres d’un peuple (cette affirmation a toujours été consubstantielle à l’identité religieuse juive, en pays d’islam comme partout ailleurs ; mais bien des gens l’ignorent), et voici que ces Juifs affirment leur indépendance là où le destin semblait les vouer à une éternelle sujétion. « Le sentiment insupportable d’humiliation que suscite l’existence même d’un État juif relève de la frustration identitaire », écrit Nathan Weinstock dans son livre sur « la dhimmitude dans le conflit israélo-palestinien » (13). Cela ne se peut pas, cela n’est pas dans l’ordre naturel des choses. C’est donc – conclusion inéluctable – le fruit d’un complot.
Nous sommes là dans une situation analogue à celle qui fit naître les premières théories du complot, dans l’Europe d’il y a deux siècles. Et les réactions sont les mêmes. L’abolition du califat d’Istanbul, catastrophe suprême pour les islamistes de stricte obédience, ne saurait résulter que d’une conspiration ; et celui à qui on en attribue la responsabilité, Kemal Ataturk, est bientôt soupçonné d’appartenir à une secte secrète de Juifs prétendument convertis à l’islam. « Juifs cachés », eux aussi, tous les réformateurs politiques ou religieux qui vont à l’encontre des enseignements du Prophète. Ces thèses conspirationnistes, décalque presque parfait de celles de l’abbé Barruel, se répandent et continuent d’être diffusées de nos jours, y compris dans les diasporas musulmanes.

Cependant, la modernité européenne, en ce qu’elle a de plus détestable, a apporté sa contribution au discours conspirationniste arabo-musulman. Ce sont des chrétiens orientaux qui, dès 1926, traduisent en arabe Les Protocoles des Sages de Sion. Le succès de l’ouvrage suscite de multiples rééditions, accompagnées de traductions d’autres classiques de l’antisémitisme occidental. Le complot juif (l’adjectif « sioniste » apparaîtra par la suite) donne la clé des difficultés de l’heure. Solution d’autant plus éclairante que les premiers adeptes des Protocoles associaient ceux-ci, on l’a vu, au Congrès sioniste de 1897.
Le complot en question est d’abord, comme dans l’original russe-blanc ou nazi, qualifié de judéo-bolchévique. Il deviendra plus tard judéo-américain, ou judéo-impérialiste, ou américano-sioniste. Seul l’habillage change, le contenu est reproduit à l’identique.
L’explication « sioniste » des Protocoles est aujourd’hui largement répandue dans le monde arabo-musulman. Chaque année paraissent plusieurs nou velles éditions arabes des Protocoles. Le manuel scolaire palestinien Histoire du monde moderne et contemporain (pour les élèves de dixième année), publié en 2004, parle en ces termes du premier Congrès sioniste : « Un ensemble de résolutions confidentielles ont été adoptées par le Congrès. Elles sont connues sous le nom de “Protocoles des Sages de Sion” et visent à la domination du monde. Elles ont été révélées par Serge Nilus et traduites en arabe par Mohammed Khalifah Al-Tunisi » (14). Des émissions de télévision, des articles de journaux et des livres populaires martèlent ce message dans tous les pays du Moyen-Orient – et aussi dans les milieux qui, en Occident, servent de relais à la propagande « antisioniste ».
UN MANTEAU DE NOÉ
S’il est dans tout cela un sujet d’étonnement, il ne tient pas à la naissance de tels discours ni à leur diffusion. On trouvera toujours des fous, des imbéciles et des criminels pour inventer de telles absurdités et pour les répandre. Le véritable sujet d’étonnement est ailleurs. Il est dans l’absence de réaction – ou la faiblesse de la réaction – chez les bonnes âmes qui se flattent de combattre le racisme et de prôner la fraternité des peuples.
Des horreurs antisémites se disent, s’impriment, se répètent et se diffusent en permanence, mais les gardiens auto-désignés de l’ordre politico-moral ne veulent rien savoir. Au contraire : lorsque les révélations se font trop criantes, ils se hâtent de les recouvrir d’un pudique manteau de Noé ; puis ils s’en prennent à ceux qui ont transmis l’information, les qualifiant invariablement de « désinformateurs Israéliens ».
Un autre aspect troublant de cette vague de complotite est qu’elle transcende les frontières politiques. Nous avons rapporté ici (15) le propos d’un manifestant anarchiste russe à l’édition internet du journal Pravda : « Si je vous dis que le monde est contrôlé par une poignée de capitalistes et de grands patrons, vous penserez que je suis d’extrême gauche. Mais si je vous dis qui, selon moi, sont ces capitalistes et ces grands patrons, vous penserez que je suis d’extrême droite ». On saisit là toute l’ambivalence du discours conspirationniste, sa capacité à balayer large en termes de familles politiques et de profils personnels.
Il est d’usage de désigner de telles proximités idéologiques par le terme « rouges-bruns ». Mais il s’agit là d’une solution de facilité. Hormis les pays d’Europe de l’Est, où la présence affirmée d’une forte mouvance « rouge-brune » est un des héritages du communisme (le parti communiste russe en est un exemple), l’appellation renvoie à des phénomènes groupusculaires souvent associés, en France notamment, au négationnisme. Or le danger principal est ailleurs : il est dans la contagion des idées, si l’on ose employer ce dernier mot.
Un même discours conspirationniste est porté, de nos jours, par des nazis avérés et de prétendus militants anti-impérialistes. La « défense du peuple palestinien » sert souvent de ciment à cette étrange coalition. Un pareil effet est bien connu aux États-Unis, où l’anti-israélisme est de longue date une des caractéristiques de la droite la plus extrême. Il s’est répandu sur le continent européen, la Belgique (terre d’élection d’un fascisme « altermondialiste » alimenté par les fonds baassistes) lui servant de plateforme francophone.
Nous avons déjà dépassé le moment critique à partir duquel la contagion s’opère d’elle-même. Point n’est besoin d’officines, de propagandistes de l’ombre. Tout se dit au grand jour.
Parfois, un militantisme mal informé sert à faire passer le message. Ainsi, on a fait grand cas de Cindy Sheehan, la « mère anti-guerre » qui a monté une campagne personnelle contre le président Bush après que son fils a été tué en Irak. Les journaux français, anti-américanisme ambiant oblige, lui ont tressé mille éloges. Ils n’ont pas tous remarqué cette déclaration de Cindy Sheehan, en date du 15 mars dernier : « Mon fils s’est engagé à l’armée pour protéger l’Amérique, et pas Israël ». Mais si eux ne l’ont pas remarqué, d’autres l’ont fait à leur place.
Le complot en question est d’abord, comme dans l’original russe-blanc ou nazi, qualifié de judéo-bolchévique. Il deviendra plus tard judéo-américain, ou judéo-impérialiste, ou américano-sioniste. Seul l’habillage change, le contenu est reproduit à l’identique.
L’explication « sioniste » des Protocoles est aujourd’hui largement répandue dans le monde arabo-musulman. Chaque année paraissent plusieurs nou velles éditions arabes des Protocoles. Le manuel scolaire palestinien Histoire du monde moderne et contemporain (pour les élèves de dixième année), publié en 2004, parle en ces termes du premier Congrès sioniste : « Un ensemble de résolutions confidentielles ont été adoptées par le Congrès. Elles sont connues sous le nom de “Protocoles des Sages de Sion” et visent à la domination du monde. Elles ont été révélées par Serge Nilus et traduites en arabe par Mohammed Khalifah Al-Tunisi » (14). Des émissions de télévision, des articles de journaux et des livres populaires martèlent ce message dans tous les pays du Moyen-Orient – et aussi dans les milieux qui, en Occident, servent de relais à la propagande « antisioniste ».
UN MANTEAU DE NOÉ
S’il est dans tout cela un sujet d’étonnement, il ne tient pas à la naissance de tels discours ni à leur diffusion. On trouvera toujours des fous, des imbéciles et des criminels pour inventer de telles absurdités et pour les répandre. Le véritable sujet d’étonnement est ailleurs. Il est dans l’absence de réaction – ou la faiblesse de la réaction – chez les bonnes âmes qui se flattent de combattre le racisme et de prôner la fraternité des peuples.
Des horreurs antisémites se disent, s’impriment, se répètent et se diffusent en permanence, mais les gardiens auto-désignés de l’ordre politico-moral ne veulent rien savoir. Au contraire : lorsque les révélations se font trop criantes, ils se hâtent de les recouvrir d’un pudique manteau de Noé ; puis ils s’en prennent à ceux qui ont transmis l’information, les qualifiant invariablement de « désinformateurs Israéliens ».
Un autre aspect troublant de cette vague de complotite est qu’elle transcende les frontières politiques. Nous avons rapporté ici (15) le propos d’un manifestant anarchiste russe à l’édition internet du journal Pravda : « Si je vous dis que le monde est contrôlé par une poignée de capitalistes et de grands patrons, vous penserez que je suis d’extrême gauche. Mais si je vous dis qui, selon moi, sont ces capitalistes et ces grands patrons, vous penserez que je suis d’extrême droite ». On saisit là toute l’ambivalence du discours conspirationniste, sa capacité à balayer large en termes de familles politiques et de profils personnels.
Il est d’usage de désigner de telles proximités idéologiques par le terme « rouges-bruns ». Mais il s’agit là d’une solution de facilité. Hormis les pays d’Europe de l’Est, où la présence affirmée d’une forte mouvance « rouge-brune » est un des héritages du communisme (le parti communiste russe en est un exemple), l’appellation renvoie à des phénomènes groupusculaires souvent associés, en France notamment, au négationnisme. Or le danger principal est ailleurs : il est dans la contagion des idées, si l’on ose employer ce dernier mot.
Un même discours conspirationniste est porté, de nos jours, par des nazis avérés et de prétendus militants anti-impérialistes. La « défense du peuple palestinien » sert souvent de ciment à cette étrange coalition. Un pareil effet est bien connu aux États-Unis, où l’anti-israélisme est de longue date une des caractéristiques de la droite la plus extrême. Il s’est répandu sur le continent européen, la Belgique (terre d’élection d’un fascisme « altermondialiste » alimenté par les fonds baassistes) lui servant de plateforme francophone.
Nous avons déjà dépassé le moment critique à partir duquel la contagion s’opère d’elle-même. Point n’est besoin d’officines, de propagandistes de l’ombre. Tout se dit au grand jour.
Parfois, un militantisme mal informé sert à faire passer le message. Ainsi, on a fait grand cas de Cindy Sheehan, la « mère anti-guerre » qui a monté une campagne personnelle contre le président Bush après que son fils a été tué en Irak. Les journaux français, anti-américanisme ambiant oblige, lui ont tressé mille éloges. Ils n’ont pas tous remarqué cette déclaration de Cindy Sheehan, en date du 15 mars dernier : « Mon fils s’est engagé à l’armée pour protéger l’Amérique, et pas Israël ». Mais si eux ne l’ont pas remarqué, d’autres l’ont fait à leur place.

Dans la même déclaration, la « mère anti-guerre » s’en prenait aux « mensonges » et aux « trahisons » dont sont coupables « les néo-conservateurs, au profit d’Israël ». George Bush lui-même ne serait, selon elle, qu’un jouet entre les mains de ces « néo-conservateurs ». Comme chez l’anarchiste russe cité plus haut, la question est de savoir qui sont les « néo-conservateurs » en question. Auraient-ils, par hasard, des origines communes ? Si Cindy Sheehan ne le précise pas, d’autres s’en chargent. Les listes de noms circulent, dans des milieux indifféremment qualifiés de nazis et d’anti-impérialistes. La seule différence est que chez les nazis les auteurs du complot sont désignés comme juifs, tandis que chez les anti-impérialistes on les qualifie de sionistes.
Du discours de suspicion sur la guerre américano-britannique en Irak et sur les événements du 11-Septembre (« Il y a quelque chose de louche dans cette histoire de tours qui s’effondrent d’elles-mêmes ») on passe, avec une facilité déconcertante, à des théories du complot mettant en cause le Mossad, les Israéliens, les sionistes et bientôt les Juifs. Avec la plus parfaite bonne foi, on absorbe et on reproduit la vulgate conspirationniste contenue dans un livre comme L’industrie de l’Holocauste de Norman Finkelstein, ou dans les divers écrits d’un Israël Shamir – l’origine juive de l’auteur servant ici d’alibi (voir ici et là).
On est persuadé de n’être pas antisémite, et l’on est sincèrement indigné si une telle accusation est formulée. Cependant, on répète l’« information », trouvée quelque part sur internet, selon laquelle Ariel Sharon aurait déclaré « Nous, le peuple juif, contrôlons l’Amérique », et non seulement on n’est pas frappé par l’invraisemblance du propos mais à la réflexion on se dit qu’il y a là quelque chose de vrai. De là à penser qu’« ils » contrôlent aussi la presse française et les partis politiques français, il n’y a qu’un pas, et il est vite franchi.
La croyance en un complot juif devient ainsi un des éléments du discours politique. Elle sert de clé d’interprétation là où la pensée rationnelle a échoué. Elle n’est pas réservée aux groupes militants ; chacun peut se l’approprier, au gré de son imagination.
C’est ici que nous touchons à ce qu’il y a de réellement dangereux dans les théories du complot. S’il s’agissait d’un discours articulé par un auteur identifiable, on pour rait aisément l’interpeller et le réfuter. Mais nous avons affaire à tout autre chose : le condensé des ignorances, des craintes et des fantasmes d’un public désorienté par les affaires du monde.
Cette rumeur incessamment reprise n’a pas d’auteur ni de propagateur. Ne s’identifiant à aucun courant politique, elle les embrasse tous. Elle échappe à la réprobation que le sens commun exprime envers les thèses racistes. Il n’est que de voir la facilité avec laquelle le codage « sioniste » (le sioniste, dans le jargon actuel, c’est le juif plus le complot) met les gens à l’abri des sanctions pénales et des condamnations morales.
Du discours de suspicion sur la guerre américano-britannique en Irak et sur les événements du 11-Septembre (« Il y a quelque chose de louche dans cette histoire de tours qui s’effondrent d’elles-mêmes ») on passe, avec une facilité déconcertante, à des théories du complot mettant en cause le Mossad, les Israéliens, les sionistes et bientôt les Juifs. Avec la plus parfaite bonne foi, on absorbe et on reproduit la vulgate conspirationniste contenue dans un livre comme L’industrie de l’Holocauste de Norman Finkelstein, ou dans les divers écrits d’un Israël Shamir – l’origine juive de l’auteur servant ici d’alibi (voir ici et là).
On est persuadé de n’être pas antisémite, et l’on est sincèrement indigné si une telle accusation est formulée. Cependant, on répète l’« information », trouvée quelque part sur internet, selon laquelle Ariel Sharon aurait déclaré « Nous, le peuple juif, contrôlons l’Amérique », et non seulement on n’est pas frappé par l’invraisemblance du propos mais à la réflexion on se dit qu’il y a là quelque chose de vrai. De là à penser qu’« ils » contrôlent aussi la presse française et les partis politiques français, il n’y a qu’un pas, et il est vite franchi.
La croyance en un complot juif devient ainsi un des éléments du discours politique. Elle sert de clé d’interprétation là où la pensée rationnelle a échoué. Elle n’est pas réservée aux groupes militants ; chacun peut se l’approprier, au gré de son imagination.
C’est ici que nous touchons à ce qu’il y a de réellement dangereux dans les théories du complot. S’il s’agissait d’un discours articulé par un auteur identifiable, on pour rait aisément l’interpeller et le réfuter. Mais nous avons affaire à tout autre chose : le condensé des ignorances, des craintes et des fantasmes d’un public désorienté par les affaires du monde.
Cette rumeur incessamment reprise n’a pas d’auteur ni de propagateur. Ne s’identifiant à aucun courant politique, elle les embrasse tous. Elle échappe à la réprobation que le sens commun exprime envers les thèses racistes. Il n’est que de voir la facilité avec laquelle le codage « sioniste » (le sioniste, dans le jargon actuel, c’est le juif plus le complot) met les gens à l’abri des sanctions pénales et des condamnations morales.

LA MISE EN ACCUSATION DES VICTIMES
Le mythe du complot est un mal de notre siècle. À chaque instant il se trouve assez de fous, d’imbéciles et de criminels (pour reprendre les trois catégories évoquées plus haut) afin de le perpétuer. Et la mutation du complot « pur » en complot juif semble, elle aussi, inscrite dans la logique de ce siècle. Car aux anciennes pesanteurs – culturelles et sociales – s’est ajouté un effet paradoxal que l’on peut qualifier d’« effet post-Shoah ».
Chez certains de nos contemporains, qui peinent à assumer l’horreur absolue du génocide commis par les nazis, on observe un mouvement de défense quasi instinctif consistant à se dire qu’il n’y a pas de fumée sans feu et que peut-être la victime n’était pas si victime qu’il y paraît. La perverse rhétorique de « la victime devenue bourreau », propagée par une vulgate anti-israélienne, peut remplir cette fonction. Sur ces entrefaites on voit arriver le mythe du complot, ultime réconfort pour les âmes troublées. Alors, tout s’explique vraiment.
Ce mécanisme de mise en accusation des victimes ne concerne pas les seuls Juifs. Le génocide des Arméniens en Turquie et le génocide des Tutsis au Rwanda eurent, l’un et l’autre, pour prélude une dénonciation publique des « complots » ourdis par les futures victimes. Et la dénégation de ces génocides s’accompagne, aujourd’hui encore, de discours où le mythe du complot revient régulièrement. Les propos crypto-négationnistes sur « les massacres organisés en Turquie par les milices nationalistes arméniennes », ou sur « le double génocide au Burundi et au Rwanda », font écho aux propos crypto-négationnistes sur « l’industrie de l’Holocauste ».
La différence principale est que les « complots » des Arméniens et des Tutsis sont supposés circonscrits à un domaine déterminé, tandis que le complot juif est par essence universel. Une autre différence tient à la multiplicité des facteurs internationaux qui concourent pour désigner les Juifs comme les principaux responsables des maux de ce monde. À quoi s’ajoute, dans le contexte français, le rôle joué par un petit nombre de manipulateurs qui mettent la hantise du complot au service de stratégies personnelles ou de projets politiques.
Il a fallu le nazisme et la Shoah pour que l’antisémitisme passe, dans nos sociétés, du statut d’opinion – légitime, quoique contestable – à celui d’incitation au meurtre. Le mythe du complot juif, qui est l’antisémitisme de notre temps, n’est pas encore reconnu comme tel. Il a donc, semble-t-il, de beaux jours devant lui.
Notes :
(13) Nathan Weinstock, Histoire de chiens. La dhimmitude dans le conflit israélo-palestinien, Mille et une nuits, 2004.
(14) Voir la traduction de ce texte dans le rapport sur les nouveaux manuels de l’Autorité palestinienne, publié en juin 2005 par le Center for Monitoring the Impact of Peace, page 22. Les rapports de l’Institute for Monitoring Peace and Cultural Tolerance in School Education sont disponibles ici en anglais.
(15) Voir notre dossier « L’antisionisme et le mythe du complot juif », L’Arche, n°551-552, janvier-février 2004.
Source : L’Arche, n° 572, décembre 2005, pp. 38-45.
Le mythe du complot est un mal de notre siècle. À chaque instant il se trouve assez de fous, d’imbéciles et de criminels (pour reprendre les trois catégories évoquées plus haut) afin de le perpétuer. Et la mutation du complot « pur » en complot juif semble, elle aussi, inscrite dans la logique de ce siècle. Car aux anciennes pesanteurs – culturelles et sociales – s’est ajouté un effet paradoxal que l’on peut qualifier d’« effet post-Shoah ».
Chez certains de nos contemporains, qui peinent à assumer l’horreur absolue du génocide commis par les nazis, on observe un mouvement de défense quasi instinctif consistant à se dire qu’il n’y a pas de fumée sans feu et que peut-être la victime n’était pas si victime qu’il y paraît. La perverse rhétorique de « la victime devenue bourreau », propagée par une vulgate anti-israélienne, peut remplir cette fonction. Sur ces entrefaites on voit arriver le mythe du complot, ultime réconfort pour les âmes troublées. Alors, tout s’explique vraiment.
Ce mécanisme de mise en accusation des victimes ne concerne pas les seuls Juifs. Le génocide des Arméniens en Turquie et le génocide des Tutsis au Rwanda eurent, l’un et l’autre, pour prélude une dénonciation publique des « complots » ourdis par les futures victimes. Et la dénégation de ces génocides s’accompagne, aujourd’hui encore, de discours où le mythe du complot revient régulièrement. Les propos crypto-négationnistes sur « les massacres organisés en Turquie par les milices nationalistes arméniennes », ou sur « le double génocide au Burundi et au Rwanda », font écho aux propos crypto-négationnistes sur « l’industrie de l’Holocauste ».
La différence principale est que les « complots » des Arméniens et des Tutsis sont supposés circonscrits à un domaine déterminé, tandis que le complot juif est par essence universel. Une autre différence tient à la multiplicité des facteurs internationaux qui concourent pour désigner les Juifs comme les principaux responsables des maux de ce monde. À quoi s’ajoute, dans le contexte français, le rôle joué par un petit nombre de manipulateurs qui mettent la hantise du complot au service de stratégies personnelles ou de projets politiques.
Il a fallu le nazisme et la Shoah pour que l’antisémitisme passe, dans nos sociétés, du statut d’opinion – légitime, quoique contestable – à celui d’incitation au meurtre. Le mythe du complot juif, qui est l’antisémitisme de notre temps, n’est pas encore reconnu comme tel. Il a donc, semble-t-il, de beaux jours devant lui.
Notes :
(13) Nathan Weinstock, Histoire de chiens. La dhimmitude dans le conflit israélo-palestinien, Mille et une nuits, 2004.
(14) Voir la traduction de ce texte dans le rapport sur les nouveaux manuels de l’Autorité palestinienne, publié en juin 2005 par le Center for Monitoring the Impact of Peace, page 22. Les rapports de l’Institute for Monitoring Peace and Cultural Tolerance in School Education sont disponibles ici en anglais.
(15) Voir notre dossier « L’antisionisme et le mythe du complot juif », L’Arche, n°551-552, janvier-février 2004.
Source : L’Arche, n° 572, décembre 2005, pp. 38-45.
Conspiracy Watch - Observatoire du conspirationnisme et des théories du complot